Il s’avère qu’une partie de moi, une grosse partie de mon identité, ce qui me constituait avant et qui reste toujours un peu là, et se fait entendre quand je me laisse avoir, a été élevée autour de valeurs qui créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Notamment parce que j’ai été élevée par une télévision, des programmes un peu spéciaux, américanisés, et que les valeurs énoncées étaient validées par mon entourage  et la société en général. Parmi ces valeurs : être importante, plus importante que l’autre, faire des choses plus importantes, avoir de l’argent, être populaire voire célèbre, bref, vivre l’exceptionnel (ou ce qui en a l’air) à chaque instant.

Avoir des valeurs un peu nulles mais largement admises

On rajoute à cela ce qui a constitué une validation la majeure partie de ma vie, à savoir être « the smart kid », la fille intelligente, qui travaille bien à l’école. Mon identité « validée » a donc tourné autour de ça : je suis intelligente, je travaille bien, et parce que je suis intelligente et que je travaille bien, je serai mieux que les autres, plus importante, avec plus d’argent et reconnue pour ça. J’ai même reçu l’award de la « fille qui a le plus de chance de réussir » lors de mon année Erasmus en Finlande (validant à nouveau cette idée de « réussite » dont j’acceptais la définition commune).

Quand tu es dirigée par ce type de valeurs, tu te retrouves vite sur un tapis de course, qui ne t’amène a aucun moment (ou seulement parfois à chaque « milestone » que tu remplis) de satisfaction, tout simplement parce que ces valeurs ne sont pas là pour t’en donner. Étant donné que ce sont d’ailleurs des valeurs qui ne m’appartiennent pas vraiment, et que je n’aime pas vraiment non plus (mais encore faut il s’apercevoir que l’on fonctionne sur ces valeurs), même si « j’arrivais » à être ceci, ce que je voulais, je passais à côté de qui j’étais, me laissant ainsi plus vide qu’avant de commencer la course.

Il s’agit donc de choisir des valeurs qui nous conviennent. Des valeurs, d’ailleurs, plus internes qu’externes, en prenant le risque de « perdre » une partie de l’identité qui nous a mené à des impasses ou nous amène de la confusion quand les circonstances de la vie ne permettent pas de remplir ces « valeurs ». Typiquement, la maternité a été difficile pour moi à vivre, et l’est encore, non seulement parce que le bébé que j’ai eu a été complètement différent du bébé que j’attendais, mais aussi parce que ce qui constituait mon identité jusqu’alors, et ma validation, n’était plus d’actualité. Ce que j’énonçais plus haut : la fille intelligente qui travaille bien, fais de l’argent, fait des trucs importants et est reconnue, plus ou moins, pour ça. Me voilà rendue femme au foyer, à avoir la tête comme une passoire, a pas pouvoir travailler parce que bébé + Covid, à vivre sous le seuil de pauvreté pour ces raisons. Alors je vous le donne en mille : être pas importante, nulle à chier, ne rien valoir même, parce que je ne fais rien de « valable » selon mon échelle de valeurs.

Jamais assez, toujours inadéquat

Alors au fur et à mesure du temps, notamment ces dernières années, j’avais réussi à « modifier » quelques unes de ces valeurs, a apprécier d’ailleurs davantage la vie avec ces nouvelles valeurs. Troquer le paraître ou l’être, le petit moi pour le grand soi. Mais c’est sans compter sur le fait que, globalement, ma génération a vécu les mêmes choses que moi, a vu les mêmes choses que moi, et vit donc avec ces valeurs la. Et que l’humain est très fort pour prendre les valeurs des autres à son compte afin de recevoir, à nouveau, une validation. En traînant d’ailleurs sur les réseaux sociaux, c’est x12, d’où ma volonté de les quitter : trouver ma propre échelle de valeur. Il faut dire que mes valeurs m’ont fait suivre, côtoyer, des gens dans le même délire. Et notamment dans le développement personnel. Alors même que mes valeurs ont changé (pour de la simplicité, du contentement etc.) alors qu’en développement personnel (souvent, hein, ça dépend, de qui t’es d’ailleurs), tu n’es jamais assez ni n’a jamais assez, et qu’il faudrait que tu changes pour l’optimiser parce que ta vie a rien à voir avec ce qu’on voyait à la télévision quand on était petites. Me faisant chuter dans un tourbillon noir d’inadéquation, parce qu’au final, ce moi qui valorisait les mêmes choses avant, n’est pas si loin et se réveille vite dans sa faille narcissique quand on lui susurre des mots doux de « self-aborption » au creux de l’oreille (les « calories vides » qui engraissent l’égo, des messages comme des pains au chocolat, qui font du bien sur le moment mais qui ne t’apportent pas vraiment ce qu’il t’est nécessaire pour bien vivre). De l’optimisation de soi, du 10/10 dans tous les domaines de ta vie, des valeurs basées sur tes émotions, un moral toujours au top et dès que quelque chose cloche, hop, ça vire, parce qu’il faut toujours être en haut, au top, plus vite, plus fort que les autres, et avoir tout, absolument tout, alors même que notre temps et notre énergie sont limités, quitte à tomber malade, quitte à s’épuiser, parce qu’il faut courir, parce qu’il faut avoir, et être, cet être suprême que l’on fantasme, parce qu’on te dit que c’est possible, que tu es illimité et que si tu te limite, c’est que tu as un « problème », tu es un problème, vivre toujours intensément émotionnellement, taper du pied quand ça va pas comme on veut, vivre comme un enfant mal dans sa peau dans un corps d’adulte qui croit qui gère sa vie, à moins que ce soit l’inverse, à grand renforts d’injections d’individualisme et d’american dream qui a prouvé son échec, mais non, on continue, ces valeurs sont tellement glorifiantes pour le petit moi en mal de soi, en mal de présence, en mal de plus grand que soi.

Quand tu as comme valeur de toi, ton travail, ton compte en banque, la tronche de ton mec, l’état de ta voiture, le prix de ton ordi, les performances de tes gosses, le poids qui s’affiche sur ta balance, c’est l’assurance de courir toujours plus loin vers des abysses qui n’apporteront jamais ce bonheur surcoté, impossible, dans cette société du rêve et de l’illusion, où ce que tu as, ce que tu montre, est ta valeur : ta voiture, ta maison, ton lieu de vie, ton statut professionnel, ton couple, tes compétences en parentalité. Un stress sans fin où tu dois continuer de courir sinon c’est toute ton identité qui s’effondre. Une vision de la vie où tu ne peux combiner stabilité et intensité émotionnelle.

* Léger Disclaimer : Pas sure que le développement personnel soit un problème en soi. Ca dépend de qui tu es, ce que tu attends, ce que tu vas chercher, pourquoi, quel est ton rapport global avec les choses (ex : moi les choses deviennent vite trop, et « addictives » et donc toxiques et très intellectualisées / mentalisées vu que c’est un rapport que je vais spontanément établir et ça été le cas avec ça également – tout est un pretexte pour un renforcement de l’égo et le dev perso encore pire). On en parlera probablement ailleurs mais globalement si tu te sens assez nul tu te sentiras encore plus nul, et si tu te sens plutôt moyen bien, tu te sentiras potentiellement mieux. Ca dépend aussi de ta capacité à passer à l’action et à remettre en question qui tu es. Bref ça dépend de plein de choses. Me concernant, après 15 ans, voilà quoi.

La présence simple vs l’exceptionnel

En arrêtant ces derniers temps les lectures, vidéos, réseaux sociaux, discussions etc. qui appuyaient sur cette faille, ce « jamais assez, je veux tout, tout de suite, maintenant », je (re)découvre ce qui m’avait amené il y a de cela quelques temps des larmes aux yeux : la gratitude de l’instant. La présence. L’acceptation inconditionnelle.

On peut dire qu’il y a deux choses dans la vie, deux énergies majeures, deux façons de vivre et de faire ses choix : l’amour ou la peur. Jusqu’ici j’ai beaucoup beaucoup pris de décisions ou vécu sur la peur. La peur de pas être assez bien. La peur de me faire dépasser. La peur de pas être devant, vue. La peur qu’en étant imparfaite, pas flamboyante, ma vie ne soit « rien ». La peur de passer à côté de ma vie, surtout. Plutôt que par amour et honneur de celle-ci. La peur que je méritais pas de vivre, en soi, qu’il fallait prouver que ma vie aurait de la valeur, qu’elle « servirait » à quelque chose. Quelle insulte au vivant. C’est justement en agissant de cette manière que j’amenais cette sensation. Car plus tu cherches tout ce qui amènera de la valeur dans ta vie, tout ce qui fera qu’elle sera « vraiment » vécue, pas comme tous les autres gens tellement normaux et moyens, plus tu te focalises sur ce qui te manque pour être cet être important et exceptionnel. Et ainsi tu tombes. « Plus tu cherches l’éveil, plus tu deviens un con égocentrique », Mark Manson. 
L’amour, c’est de la conscience, de l’attention, de la présence. C’est aussi un choix. Un choix d’amener sa conscience et son attention dans sa présence, là, comme ça, en simplicité, en joie, sans chercher plus/trop.
La pression de devoir trouver « ce pour quoi je suis faite », ma mission, se base sur cette peur, cette faille, de passer à côté de ma vie, d’être en échec, d’être normale, sans chichi, sans feu d’artifice, avec pour terreau l’exceptionnel comme norme et valeur largement partagée.

Il est simple d’être heureux, mais il est difficile d’être simple.

Tagore

Je ne pourrai pas mieux parler de ça que dans l’extrait du livre « L’Art subtil de s’en foutre » que je vous ai mis en fin de la Lettre Lanterne (#4).

Il y a quelques jours, en discutant avec une amie, je me retrouve sur LinkedIn a voir en gros le CV d’anciens collègues d’école. Il y a quelques temps, les mots, les postes, le côté « ouah, ça envoie, ouah, ça a l’air important ça » m’aurait renvoyé au fait que moi je n’ai pas tous ces postes, tous ces mots qui semblent tellement au top, et je me serai dit « qu’est ce que j’ai fait de ma vie, pourquoi, comment… ». Et puis je me suis rendue compte que la lecture de ces CV m’emmerdait vraiment. Tous ces mots ne voulaient rien dire. Rien que de m’imaginer dans ces trucs m’apportait un fort ennui. Me mettant face à un sentiment que je sens assez rarement pour en profiter et essayer de le développer : en fait, j’aime bien où je suis, ce que je vis, et comment je vis. Je suis bien, avec mes cours, mes élèves, mes petits mots d’écriture, mes idées, ma fille, mon homme, la simplicité et la paix que je vis, qui m’apportent beaucoup plus de sagesse et de sérénité qu’aucune course ne l’a jamais fait.
D’ailleurs, depuis que j’ai arrêté le développement personnel (j’espère arriver à en faire un article un jour / voire une vidéo), je n’ai plus mes angoisses, mes difficultés à respirer, à devoir m’hyperventiler pour avoir la sensation de respirer. Et ce, malgré mon manque de sommeil (je mettais cette angoisse sur le manque de sommeil). C’était un stress, une pression, qui restait toujours comme une appli ouverte sur ton téléphone et qui bouffe tes ressources et ta batterie, une appli qui s’appelle « mon dieu, je passe ma journée JUSTE à m’occuper de ma fille, à faire la vaisselle, des machines à laver et parfois à faire un peu de yoga et à donner des cours, C’EST TOUT,  C’EST CA MA VIE ? » (c’est un long nom pour une appli, c’est pas ouf en termes marketing). Quand j’arrête le dev perso, les lectures, les sirènes new age de gonflement de l’égo et de l’exceptionnel, CETTE VIE qui est « JUSTE CA » me convient, m’apaise, m’apporte, me valorise. Et que chaque pas que je fais vers autre chose que cette simplicité, cette acceptation et cette gratitude, m’amène davantage d’inquiétudes, de frustration, d’énervement. Je n’arrive pas à la paix et à la sagesse en m’efforçant d’aller vers l’exceptionnel, l’instragrammable, mais bien en acceptant cette vie qui m’est donnée, en lui faisant honneur avec ma pleine présence et mon plein amour, en choisissant ce que j’ai.

Quand aussi, tu touches du doigt, parfois, pas toujours, ta valeur intrinsèque, que tu es déjà quelqu’un, que tu es déjà important, ou pas important, mais peu importe, que tu as déjà de la valeur juste parce que tu es là, juste parce que tu fais de ton mieux chaque jour, tout le reste qui est censé te donner de la valeur et de la validation à l’extérieur n’a plus autant de poids. Ca ne veut pas dire que ce n’est pas « plaisant », mais le caractère plaisant de la chose n’est plus le critère numéro 1. C’est du Plus qui fait que ton monde (ton identité et les crises qui vont avec) ne s’effondre pas s’il n’est pas présent mais que tu peux apprécier sa présence. Cela laisse la place à quelque chose de sympa, cela laisse la place à ce qui te parle vraiment, à ce qui t’intéresse vraiment, à ce qui va au-delà de toi, à ce à quoi tu aspires vraiment. Je ne peux pas trouver qui je suis quand autour de moi il y a trop de bruit, trop des autres qui s’intègre en moi. Quand je reviens à l’essentiel, quand je mute la cacophonie, quand le silence se fait, vraiment, avec personne pour me dire quoique ce soit sur ce que je suis ou devrais être ou comment ou pourquoi, quelque chose émerge. Quelque chose qui vient vraiment de moi. Et qui n’est pas parasité par le reste. C’est en cela que la simplicité fait son « travail ». Parce que ton centre devient clair comme du cristal plutôt que d’être une toile collaborative. Parce que t’es planté là, droit sur tes jambes, stable, en confiance, ancré, en joie. Tu fais ce que tu sais faire, tu es ce que es. Ni plus, ni moins. Ni trop, ni pas assez. En équilibre. Loin du toujours plus, toujours plus. Mais pas non plus dans la renonciation et la négation de soi. Tout simplement parce que tu « sais », ou tu sens, qui tu es. Simplement parce que tu es, vraiment, à 100%, intensément.

Ce qu’il y a d’important

Au-delà d’être important, il y a ce qui est important. Ce qui est important est ordinaire. Ce qui est ordinaire est important, c’est pour ça que c’est ordinaire, tout le monde en a besoin. Cela change en fonction de chacun. Et c’est lors de déséquilibres, ou quand on vit des profonds changements, que l’on se repose sur ce que l’on considère comme important, pour nous, ce sur quoi on peut mettre notre attention, notre énergie. Comme dit plus haut, notre temps et notre énergie sont des éléments limités, malgré toute notre bonne volonté spirituelle pour vivre dans un Tout et Un béat où le temps et l’espace n’existent pas.

Au delà de ça, je crois que pour moi cette période, et depuis je crois 2018 – 2019, m’amène à un profond changement d’identité, avec parfois des retours en arrière. Le « problème » de la faille narcissique, de l’égo blessé, c’est que tout tourne autour de lui. Même quand il croit s’en sortir un peu, c’est un jeu du Je. Il est difficile de se connecter à plus grand que soi, à être sur une seule voie, à choisir tout simplement. Comme un éternel adolescent, qui après avoir suivi et mimé son environnement et ce qu’on attendait de lui, souhaite explorer. Rien de mal à ça, seulement l’exploration se termine quand tu comprends qu’il y aura toujours plus à explorer. Tout le temps, à jamais. C’est vaste, ça ne s’arrête jamais. Sauf qu’après tout ça, tu CHOISIS justement de t’ENGAGER, dans un lieu, dans un couple, dans un job, dans une voie. Et cet engagement, une fois le côté « je fais parce qu’on m’a dit de le faire » passé, et que tu choisis vraiment, c’est avancer sur un chemin périlleux, celui de la maturité émotionnelle, celui qu’on montre du doigt, qu’on appelle « chiant ». Une fois qu’on est dedans, par contre, on le sent pas chiant, mais plutôt serein. Et ça repose. Et on peut descendre du tapis de course. Le ride était cool, c’est marrant, mais on passe à autre chose. C’est ce que l’on repousse toujours, car ça semble vouloir dire abandonner. Alors que c’est choisir. A partir de qui tu es réellement. Avec la détermination du guerrier.